dimanche 7 décembre 2014

CECI N'EST PAS DE LA SF (6ème ÉPISODE) - PAS DE CONCLUSION…


… MAIS QUELQUES REMARQUES GÉNÉRALES SUPPLÉMENTAIRES
"Rêver 2074 / Une utopie du luxe français / par le Comité Colbert" (et quelques écrivains et écrivaines…).
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FORMELLEMENT
D'abord ces ressemblances scénaristiques entre quasiment toutes les nouvelles, ce que j'ai souligné à plusieurs reprises… et j'aimerais bien qu'on m'explique…
Ensuite l'impression que les auteurs se sont, chacun, posé un problème tordu et ont ensuite été forcés de prendre des détours étranges (tordus) pour le résoudre. (Masochisme ?)
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HORS-CHAMP
Dans toutes les nouvelles, tout ce qui n'est pas le monde du luxe, le monde des riches, est OFF. Ou presque : Joëlle Wintrebert ne cache pas que, entretemps, dans les 60 ans à venir, il y a eu une montée des eaux, comme, dans le monde réel, tout le laisse prévoir, et il y a bien ces pécheurs qui souffrent de problèmes liés au réchauffement climatique. (Mais tristement, la seule réponse est l'indemnisation… Ben oui, comme maintenant…)
Et donc y a-t-il "un monde" autour, un hors-champ ? Pas des masses, non. En ce sens, on est bien dans l'utopie, un non-lieu, fermé sur lui-même. Une ile. Mais peut-être faut-il parler plutôt d'hétérotopie, lieu différent, car ce n'est pas ailleurs, loin, ou "nulle part", c'est une enclave, ni ailleurs ni demain, mais bel et bien une bulle enclose dans le ici et maintenant, creusée à l'intérieur du monde "normal" : les fêtes et réceptions se passent systématiquement sur les toits, les voyages se font en autoplanes, ou en BGV à 1000 km/h, avec champ d'isolement à disposition, la domotique se charge d'empêcher toute intrusion… On peut penser au XVIème arrondissement, à Neuilly, à ces ghettos de riches cachés derrière murs et digicodes…
… Ou le château de Versailles… Le bal masqué des aristocrates tandis qu'au dehors règne la peste, dans "Le Masque de la mort rouge" de Poe… La tour des derniers riches assiégée par les morts-vivants dans l'une des séquelles de Romero, "Land of the dead", sauf erreur…
Pourtant, à en croire certains paragraphes, au dehors, tout va bien. P 266, encore un aveu de l'auteure : # Je désirais moi aussi participer à ce courant utopiste. J’ai adoré cette énergie exubé­rante, l’élan formidable qui a permis l’union de tant de pays et l’essor des plus démunis – plus personne ne manque du nécessaire, aujourd’hui, ou c’est acciden­tel… Et j’aimais que Proteûs soit l’un des acteurs de la nouvelle harmonie, appartenir à ce grand corps où l’on se souciait de marier le réel et le rêve. # … Tu rêves, oui… Ingénuité ou complicité ? Quel est donc ce MIRACLE de l'après-pandémie, à part des mots aussi creux qu'un discours politique ou religieux ?
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LA BEAUTÉ, L'ART, LE LUXE
Une confusion parmi d'autres : certaines nouvelles du pack parlent de beauté comme si cela était du ressort des "industries du luxe".
Je connais personnellement nombre de coquillages bien plus beaux qu'un foulard Hermès. Et que dire de chaque feuille d'un platane automnal ? Ni l'or ni le diamant ne sont beaux parce qu'ils sont chers. Au contraire, ils sont chers parce qu'ils sont beaux. Et rares. Mais si l'or était si abondant qu'on puisse en tapisser ses murs, il n'en serait pas moins beau. On s'en blaserait, peut-être, c'est tout. Et ce n'est même pas sûr. Ils y a des choses autour de moi, naturelles ou fabriquées, depuis 20 ans ou plus, que j'ai tous les jours sous les yeux et dont je ne me lasse pas. Si certaines (objets artisanaux provenant des puces ) m'ont couté quelques sous un jour, l'investissement est largement rentabilisé ! Le beau c'est le contraire de la consommation.
L'amalgame beauté/luxe n'a aucune validité. Pas plus que art/luxe. Le luxe est une industrie du fric qui mange à tous les râteliers, qui exploite tous les registres, qui emprunte à la beauté, à l'art, à la science. Qui emprunte ? Qui vole, qui exploite, qui s'empare jusque du langage, avec ses mots copyrightés. "Récupération", on appelait ça au temps où l'on disait que "tout est politique". Le pouvoir de l'argent peut récupérer TOUT : talent, beauté, haute technologie, solidarité humaine, et même une sorte de spiritualité ou de mysticisme de l'amour humain (j'y reviendrai).
Mécénat ? Les mécènes, pour se faire pardonner leur richesse, achètent des âmes : vampires, ogres, pervers narcissiques. Leur l'appétit démesuré est à la mesure de leurs moyens – ou le contraire : leurs moyens sont à la mesure de leurs appétits. (Ça a toujours existé, certes. Les artistes se sont toujours fait payer et posséder par les princes. Mais est-ce une raison pour se résigner à ce que ça continue, ici et maintenant, et se satisfaire d'une république ploutocrate ? Jeff Koons à Versailles ou un plug anal place Vendôme, ça n'a rien à voir avec l'art et tout à voir avec le foutage de gueule.)
D'autres nouvelles parlent de haute technologie, là encore comme si cela était du ressort des "industries du luxe". Mais le robot Philae sur la comète, performance techno-scientifique prométhéenne parmi d'autres, n'a rien à voir avec Vuitton, même s'il nous coute très cher. Où est le progrès, technique et autre ? Plutôt dans l'invention de la machine à laver et dans la loi Veil.
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MIRACLES, MAGIE, MYSTIQUE (CHRISTISME ?)
C'est un autre élément – quelque peu inquiétant – qui m'a frappé, au fur et à mesure des lectures. Une mystique sous-tend tout ça. Une sorte de spiritualité New Age ou de béatitude…  Les sens et la sensualité sont bien présents, certes, le travail manuel, le vin ambré, l'odeur du cuir, la douceur de la soie, jusqu'au raffinement baroque chez Joëlle Wintrebert. (Tiens, pas une seule drogue, pourtant tout le monde a l'air un peu défoncé, dans ces histoires… les alcools, peut-être – raffinés, bien sûr…)
Mais à côté de ça : Esthétique de la transparence, de l'éthéré, de la lumière… paillettes, strass, diamant, cristal, perle, bijoux… brillance, or/soleil, argent/lune, eaux-mère, mutation, transmutation…
"L'or… Dior… J'adore…"
Eh oui, il y a de l'alchimie, dans tout ça… et surtout plus de magie que de science… des MIRACLES ! Jésus revient et il porte un costume Armani. Il marche sur les eaux et guérit les artistes achromatopsiques, les œnologues anosmiques, les couturières anesthésiques, les deuils prolongés et les enfants autistes… Il a sans doute aussi inventé l'énergie propre infiniment disponible, l'eau potable partout, la régulation sans douleur de la population, le nettoyage des terres, mers, atmosphère, il a soulevé le continent de plastique du Pacifique et s'en est servi pour boucher le trou de la couche d'ozone, il a évacué l'effet de serre et déradioactivé tous les déchets du nucléaire, il a rendu gentils tous les terroristes, arrêté les inondations dans le midi et éradiqué une fois pour toutes les poils aux pattes des femmes du monde. Alleluyah. Le luxe sauvera la planète ! (C'est Noël !)
(à suivre) (Oui, j'aurai encore quelques réflexions à partager…)


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