lundi 14 mai 2012

L'HOMME EST-IL BON ?


LO N° 480 (14 mai 2012)
HOBBES et ROUSSEAU sont dans un bateau (ou galère)
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Rousseau : l'homme "à l'état de nature", naît bon, c'est la société qui le corrompt. (Dit comme ça, c'est un peu idiot car aucun homme ne naît "à l'état de nature", aucun homme n'existe sans société. Quant à ceux qui sont à l'état de nature, les animaux, ils ne sont ni bon ni mauvais, ils ont juste faim.)
Hobbes : l'homme naît mauvais, c'est la société (surmoi maniant l'impératif catégorique kantien, fondé sur la volonté) qui le maintient en place, le civilise, le cadre. Par des lois qui empêchent que la (naturelle) "guerre de tous contre tous" tourne au massacre quotidien. À "l'état de nature", chacun est un danger pour chacun, la méfiance et la peur règnent. Il y a donc nécessité d'un pouvoir fort pour assurer la sécurité. La civilisation serait un dressage de la "part maudite" de la nature humaine, les "mauvais instincts" archaïques.
À "l'état de nature", désolé, mais l'homme (un homme, une femme) n'est ni bon ni mauvais, pas plus que le loup mangeur d'agneau ou l'agneau mangeur d'herbe. Il est juste occupé à vivre/survivre. Et en tant qu'individu et en tant qu'espèce. Plus précisément, il travaille à vivre/survivre – en tant qu'individu – en tant que famille – tribu – pays – ethnie – culture – civilisation – et finalement espèce (l'Homme) – et avec un niveau supplémentaire qui transcende le génotype biologique : l'Humanité – et encore un niveau supplémentaire récemment intégré : la biosphère et plus globalement la planète Terre, sans laquelle l'homme, individu comme espèce, ne vit/survit pas.
Ces deux enjeux, individu et espèce-planète, complémentaires, sont aussi concurrents et antagonistes. La survie individuelle se fait parfois au détriment de la famille (luttes fratricides, infanticides) ou de l'espèce (l'industriel pollueur). La survie de l'espèce (ou de tel ou tel des niveaux de collectivité évoqués ci-dessus) se fait parfois au détriment de l'individu (élimination des plus faibles, c'est-à-dire des plus pesants ou dangereux pour la collectivité ; par la maladie, l'accident, le massacre.)
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COMMENT (SE) CIVILISER
Partant, deux options de civilisation. (Je ne veux pas dire "une civilisation" qui serait une sorte d'état social établi, de chose, mais l'acte de (se) civiliser. C'est-à-dire organiser la vie en commun à travers mœurs, lieux communs (jeu de mot volontaire) ou collectifs, règles de vie, habitus, lois. Et encore la langue, l'éducation, la transmission de l'information, du savoir… et bien d'autres éléments de culture qui signent le "vivre ensemble", la Culture au sens anthropologique.)
Option 1, hobbessienne, de droite : rigide. Le pouvoir fort, répressif. Paradoxe inclus : pour libérer de la peur de l'autre, on institue la peur du gendarme.
Option 2, rousseauiste, de gauche : souple (ce qui ne veut pas dire molle ou laxiste).
L'exigence de base est différente : à droite, c'est admettre la nécessité d'une contrainte.
À gauche la nécessité d'un contrat.
À droite l'enjeu est individualiste-égoïste : pour que chacun puisse s'épanouir (sur le plan économique et autres), débarrassé de la peur de l'autre, il faut de la contrainte (mais c'est toujours contraindre l'autre).
À gauche l'enjeu est collectiviste : la paix sociale devient le but… et le moyen de l'épanouissement individuel. Le paradoxe (ou le détour) est que, pour le bonheur de chacun, il faut d'abord le bonheur de tous. (J'aurais tendance à ajouter un ? derrière le mot "d'abord".) Le bonheur de tous devient l'enjeu transcendant, exigeant au besoin le sacrifice de l'un ou de l'autre, ou de tel ou tel besoin, désir ou envie personnel, égoïste, individuel.
Mais c'est là, le mot sacrifice étant déplaisant, que le ? derrière "d'abord" prend toute son importance.
L'enjeu politique général est là, finalement : naviguer entre ces deux paradoxes, celui qui veut échapper à la peur par la peur et un ordre rigide, celui qui veut échapper à l'égoïsme par le sacrifice. Les deux options apparaissent négatives, fondées sur le pessimisme.
À droite, l'individu est vu comme seul (et comme une "chose") face à la société (une autre "chose", figée) et ne pouvant s'épanouir que dans la possession et la sécurité, et la sécurité de ses possessions.
À gauche l'enjeu est la société (un état de choses vivant) contenant (aux deux sens du terme) l'individu égocentrique et ses désirs propres ; société ayant pour but, en réussissant, d'assurer "par rebond" l'épanouissement individuel, non plus dans le sens égotiste/égoïste figé en "chose" possédante, mais dans le sens de l'individu social, socialisé et socialisant, s'épanouissant dans le contact, les liens, liaisons, l'échange, la redistribution. Est-ce mieux ? Oui. Moins pessimiste ? Oui. Sans doute fondé sur une meilleure compréhension de ce qu'est un être humain : il n'y a pas d'être humain seul, il n'y a d'humain que social, que vivant dans une société – même si parfois ça se bagarre. C'est plus moraliste ? Oui et non : c'est une morale, ou une éthique, qui fait moins appel aux commandements, interdits et répression, plus à la prise de conscience, au bon vouloir, voire à l'amour. Alors le triste terme de sacrifice peut être remplacé par "de la retenue" dans les désirs, de la sobriété dans les besoins, et des rapports humain où la sollicitude entre en jeu et ou la concurrence ou rivalité (qui ne peut pas ne pas exister) devient jeu (conscient, distancié).
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L'AMOUR ?
On peut sans doute admettre, avec Kropotkine et contre Hobbes, que la violence n'est pas plus "première" que la solidarité. Et même que la solidarité/sollicitude est innée : c'est l'allaitement, les soins et la protection des petits par la mère, la protection de la mère et de l'enfant par le père et les voisins, la nutrition et la protection collective et mutuelle dans la tribu… et au delà. En gros, on appelle ça solidarité, fraternité… ou "l'amour"… et, ethnologiquement parlant, c'est tout aussi "premier", instinctif, que la violence.
Il n'empêche qu'on peut tout autant admettre que la rivalité est innée. Dans la famille, entre frères-sœurs, pour avoir la meilleure part de fourrure, de nourriture ou d'amour, dans la tribu pour avoir le poste de mâle dominant, ou de femelle favorite, ou de femelle dominante (bonobos). Puis entre tribus voisines, pour la source, le meilleur territoire de chasse ou de culture… Quant à ce qui se passe au bureau… À un certain niveau d'évolution, de socialisation, l'inné, dit naturel, se mêle indistinctement à l'acquis (culturel) et la question de savoir si l'homme "à l'état de nature" était bon ou mauvais devient invalide.
Face à un danger collectif (dépassant les enjeux internes de la famille ou de la tribu), une attaque ou une catastrophe extérieure, l'un ou l'autre peut s'activer : la violence tournée vers l'extérieur (la défense du proche ou du groupe) accompagnée de la solidarité généralisée à "tous autour" (et ce jusqu'au sacrifice de soi pour sauver enfant ou voisin)… ou la concurrence égoïste (jusqu'au sacrifice de ses propres proches pour sauver sa propre peau). Ou encore la lutte-hésitation entre ces deux pulsions naturo-culturelles, la solidaire et l'égoïste : alternance de l'une à l'autre en fonction des circonstances et de l'évolution de la situation : ces pulsions sont des potentiels qui s'activent dans un sens et/ou dans l'autre en fonction des occasions, circonstances, aléas, phénomènes…
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MOI ?
Par contre, l'une comme l'autre (pulsion égoïste ou pulsion solidaire) peuvent être perçues, pensées, comme extérieures à soi. D'abord, dans telle situation, les circonstances réellement extérieures telles que le froid, la chaleur ou le vent, le terrain, le soleil dans l'œil, les cris effrayants de l'ennemi… qui vont activer telle ou telle réaction réflexe en provenance du cerveau reptilien ou des glandes endocrines… où je ne me possède plus. (Je pense entre autres à comment nous pouvons plonger dans la panique face à un incendie de forêt.) Mais aussi, les « Je ne suis pas responsable de mes pulsions instinctives, puisque ce sont des programmes fomentés par mes gènes… ou de mes conditionnements sociaux, programmes établis par mon éducation. » Toute une démarche de la biologie génétique actuelle, ou celle des neuro-sciences, après la psychanalyse, nous mènent à cette déresponsabilisation : « C'est pas moi, c'est mes gènes, mon cerveau, mes hormones, ma névrose… » Bon prétextes à l'immoralité, à l'amoralité, à l'irresponsabilité. (Gamins, déjà, on pratiquait ça, après avoir foutu une baffe à son copain : « C'est pas moi, c'est ma main. »)
Il faut croire que nous ne savons plus très bien ce qu'est "moi"… La (très sérieuse) question que ça pose, en fait, est bien là : qu'est-ce que MOI ? (Et cette question a par exemple une énorme importance judiciaire : le criminel était-il responsable de ses actes au moment des faits ? Qu'est-ce que la folie, la conscience, etc. ? Et les "circonstances atténuantes" ?)
Et il va bien falloir comprendre que MOI, le "moi", la personne, l'individu, ce n'est rien d'autre que la conjonction (complexe, hypercomplexe) de tout ce bazar : les instincts, les gènes, leur héritage multimillénaire et leur programme, l'éducation comme héritage culturel et projet, la problématique infantile, la société où je vis et son habitus, et autres multiples hasards et circonstances qui ont fondé/fondent sans cesse ce "moi".

2 commentaires:

Bruno Bellamy a dit…

Le texte est bon (le dessin aussi). :)

lone sloan a dit…

Un élément plus ou moins récent vient ajouter une pierre au penchant pour l'altruisme : Des sociologue ont étudié les différentes catastrophes naturelles des 50 dernières années, et on constaté que l'altruisme et le don de soit l'on systématiquement emporté très largement sur les comportement égoïstes et de violence. Même à la Nouvelle-Orléans après le passage de Catherina, là ou la police racontait violence et pillage, il n'y avait en fait que vols de première nécessité de produits de survie. Les bijouteries étaient intacts, et les écrans 16:9 flottent mal.