vendredi 5 février 2010

FRÊCHE


LO N°357 (02/02/10)

Tiens, je vais faire un truc bizarre : je vais prendre la défense de Georges Frêche.
(Pour qui ne serait pas au courant, il a dit « Fabius, je ne voterais pas pour ce mec, il a une tronche pas catholique. »)
D'abord il ne faut pas prendre l'expression "pas catholique" ou "pas très catholique" comme en rapport avec la religion, donc stigmatisant (comme on dit, et dans ce cas ça s'applique parfaitement !) les origines d'un autre, en l'occurrence origines juives. "Pas catholique", expression figurée et familière, ça veut dire "suspect, douteux, sujet à caution… qui suscite la méfiance". (Ça a peut-être, historiquement, des origines datant des guerres de religion, mais c'est passé dans le langage courant en se détachant de ces origines.) Ce n'est pas plus "religieux" que étouffe-chrétien…
Pour ma part, Fabius, je lui ai toujours trouvé une "tronche" suspecte… Et je ne savais même pas qu'il avait des origines juives, et à vrai dire, je m'en fous ! Ce n'est pas un critère. Il pourrait être né papou, témoin de jéhovah ou bouddhiste que ça n'y changerait rien quant à mon appréciation. Et c'est là que la réaction du PS est perverse et contre-productive : c'est eux qui mettent en évidence que Fabius est d'origine juive, et donc risquent d'enclencher dans un recoin de nos têtes le mécanisme de méfiance non plus appliqué à sa "tronche" ou à sa personnalité et son action, mais à son origine. (Dans la mesure où, dans un coin de la tête, beaucoup d'entre nous avons un potentiel d'antisémitisme ordinaire, primaire, question d'empreinte liée à la famille, l'histoire personnelle et l'Histoire tout court. – Je parle pour moi, en tout cas, né en 1941…)
À force, ce genre de fonctionnement médiatico-politique aberrant nous enfonce dans la confusion. Conjuration des imbéciles et terrorisme de la bêtise. Bientôt, plus personne ne pourra dire quoi que ce soit sans risquer d'être accusé de (liste non exhaustive) antisémitisme, racisme, islamophobie, fascisme, etc. (plein de etc.…)
On fait passer une phrase vulgaire dans la forme mais anodine quant au sens pour un brûlot raciste ! C'est débile.
C'est ainsi que, sur l'Internet, on gagne des points Godwin.
(La loi de Godwin est un adage venu des utilisateurs de Usenet, avant Internet, énoncé en 1990 par Mike Godwin : Plus une discussion sur le réseau dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison invoquant les Nazis ou Hitler s'approche de 1. Dans un débat, atteindre le point Godwin revient à signifier à son interlocuteur qu'il vient de se discréditer en vérifiant la loi de Godwin. En jouant sur le mot point, le point Godwin sera aussi le mauvais point attribué au participant qui aura permis de vérifier la loi de Godwin. On estime alors qu'il est temps de clore le débat, dont il ne sortira plus rien de pertinent. Discussion terminée.)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin

Bon, le PS voulait se débarrasser de l'encombrant Frêche. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. Qui veut éliminer son adversaire politique l'accuse de racisme, antisémitisme, lepenisme, fascisme, etc. Classique.
Frêche, grande gueule, oui, soupe-au-lait, oui, familier des dérapages verbaux, oui. Raciste, non. Son comportement régional depuis longtemps dans l'accueil tant des harkis que des pieds-noirs que des immigrés en général, ainsi que envers les gitans… ami d'Israël… est là pour le prouver. Bien entendu, la presse ou les adversaires s'empressent de sortir une phrase de son contexte et on finit par résumer les choses en des formules lapidaires : « Frêche considère les harkis comme des sous-hommes », « Frêche considère qu'il y a trop de noirs dans l'équipe de foot », « Frêche reproche à Fabius sa tronche de juif ». (Tiens, ça me rappelle l'affaire Siné-Val !)
Moi aussi, en écoutant les infos, et n'ayant aucune sympathie pour le bonhomme, je me suis d'abord offusqué, lors de l'épisode des "sous-hommes". Et puis j'ai eu quelques infos sur le contexte. Et puis un ami qui me veut du bien m'a donné le livre "L'assassinat raté de Georges Frêche", d'Alain Rollat (journaliste, ancien du Monde, entre autres). Remarquable travail de décryptage de la sphère médiatique autour d'un véritable cas d'école. Ce qui n'empêche ni l'auteur ni moi de considérer le terme "sous-homme" comme odieux et impardonnable. Les HP (hommes politiques, pas hôpitaux psychiatriques…) devraient avoir plus de tenue et de retenue, de contrôle (Cf. Chirac, Hortefeux, Morano, Sarkozy, etc.… Je dirais même que, dans leur position – publique, par définition, et responsable – c'est un devoir.)
Mais bon, passé un certain âge, on a des fuites… Ou on a ce que je soulignais un peu plus haut, ce réveil, sous l'effet par exemple de la colère*, de ce petit démon raciste caché dans un coin de la tête depuis que telle ou telle empreinte infantile l'a installé là. On connaît ça, non ? L'engueulade entre un blanc et un noir qui passe du niveau individu à individu au niveau raciste, quand le blanc, à court d'arguments ou d'insultes personnelles, va sortir "sale nègre !" (C'était très lisible dans le film "Collisions", par exemple). Ou vice-versa. Et là, il est grillé. Même si toute son attitude dans la vie, toute son action politique disent le contraire, le montrent irréprochable (sur ce plan).
Mais qu'est-ce qui définit un homme, un individu ? son attitude et son action conscientes, volontaires, organisées, ses actes, ou la réaction primaire surgie ponctuellement du fond de son cerveau infantile, voire reptilien ? Qu'est-ce qui est le plus vrai ?
Il n'y a pas de "vraie nature". Les deux (et plus) sont "vraies" et fondent une personne, dans son intérieur comme dans son extérieur. Pour ma part, je privilégie le conscient et les actes réels, contre cette sorte de "romantisme du spontané" psy qui fait dire « il a laissé parler sa vraie nature ».
(* ou de l'alcool, si on pense à certains dérapages du même genre chez Siné…)


Et dans la foulée, je vais défendre les blagues racistes (dans certaines conditions).
(Ceci pour prolonger ce que je disais un peu plus haut, d'une part sur les hommes publics qui devraient un peu mieux tenir leur langue, d'autre part sur ce petit démon qui se réveille à l'occasion).
Quand une personne privée, en privé (famille ou groupe d'amis) sort une connerie style Hortefeux ou Frêche, ça ne mange pas de pain. On va qualifier ça de second degré, mais je suis le premier à dire que cela ne règle pas la question : le second degré a bon dos, il permet trop souvent de sortir les pires saloperies sous couvert de –.
On a (presque) tous en soi cette tendance raciste ou xénophobe. On la dit facilement instinctive, c'est pratique pour se dédouaner (« C'est pas moi, c'est mon instinct. »). Un de ces jours on va même sortir le gène du racisme (« C'est pas moi, c'est mes gènes. ») En réalité cette tendance, comme bien d'autres, est sans doute culturelle, mais c'est du culturel "oublié", c'est-à-dire passé au niveau sous-conscient. Pas "inconscient". L'inconscient, invention discutable de Freud, a bon dos lui aussi. (« C'est pas moi, c'est mon inconscient. ») Je préfère la notion de "ça" ou de "ics" (X). (Cf. Groddeck "Le livre du ça"). (Et finalement, c'est quoi, moi ?)


La question est : qu'est-ce qu'on en fait ?
– Soit on l'exprime premier degré au comptoir du café du coin, en beauf' pas complexé.
– Soit on le refoule à mort et on choppe un cancer, ou bien ça sort tout seul sous forme de lapsus ou d'acte manqué (sous l'effet de l'alcool ou de la colère, comme déjà souligné… ou d'une sorte d'"inattention au présent"… disons un trouble quelconque.)
– Soit on le sublime en développant volontairement l'attitude opposée à cette pulsion que, consciemment, on juge mauvaise. Souvent ça mène à l'angélisme ou au moralisme. On pourrait qualifier ça de "défoulement par le haut". Mais si ça s'exprime dans une attitude morale (non moraliste : la morale s'adresse à soi-même, le moralisme aux autres) et dans des actes positifs, il n'y a pas de mal à ça, il n'y a pas à considérer cela comme une hypocrisie (ce qui serait du moralisme ; je préfère rester sur le plan de la psychologie et de la morale, c'est-à-dire des actes réels sociaux).
– Soit encore on l'exprime avec humour et en compagnie de personnes choisies (de confiance), y compris des personnes concernées (cibles) par ce racisme (noirs, juifs, arabes, pédés, etc.…), du moment que ceux-ci sont des amis, c'est-à-dire qu'une certaine complicité ou connivence est déjà établie. Ce qui nous ramène à la situation "en privé", et à la définition de Desproges :  « On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. » Là, il ne s'agit plus de lapsus révélateur issu d'un subconscient nauséabond (on dit toujours "nauséabond", dans ce cas), mais, en quelque sorte, de "lapsus volontaire". L'expression est auto-contradictoire, certes, mais elle signifie : « Je sais que j'ai en moi un fond de racisme ordinaire, primaire, bête et méchant… je dois l'exprimer sinon ça pourrit en dedans… alors je l'exprime dans l'humour… et en connivence avec toi, qui en es la cible, parce que je sais que tu comprendras, que tu es capable de me rendre la pareille… je ne ris pas de toi, mais avec toi. » Ce qui veut dire qu'il ne s'agit plus d'un simple défoulement, mais d'un travail conscient sur, justement, ce racisme profond, dit instinctif (refoulé). Et, qui plus est, un travail en commun, collectif.

Bien entendu, les HP ne devraient se permettre cela que dans les mêmes conditions de "privé". Conditions qui n'existent pratiquement pas pour eux, surtout depuis quelques années : il y a toujours quelque part dans le coin un micro qui traîne, une caméra ou un "ami" pourvu d'un téléphone portable. Partant de là, un HP, se sachant exposé, et même surexposé, doit maîtriser sa parole. S'il ne le fait pas, c'est soit qu'il est teubé, soit qu'il fait de la provoc. Alors, s'il en prend plein la gueule en retour, il ne doit s'en pendre qu'à lui-même.
Et tout cela ne me rend pas Frêche plus sympathique. Le PS et Fabius non plus.

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