samedi 11 avril 2009

RÉTROPIE 2

LO N° 296 (11/04/09)

RÉTROPIE / CHAP 2

Il s'agit donc de proposer, ou, plus modestement, d'évoquer une anticipation.
Un saut en avant pour "après la crise" ?
Mais la crise ne finira pas. La crise est un état permanent, et ce n'est pas nouveau.
L'idée "scénaristique" est plutôt celle d'une entrée en décroissance se passant (relativement) en douceur. Ce qui suppose un certain optimisme, pour ne pas dire une certaine naïveté. Utopie, donc, oui, assumée. Après, savoir si j'y crois ou non, s'il est crédible ou non que cela se passe ainsi (relativement) en douceur, n'est pas la question. Il s'agit d'un exercice de pensée positive. On verra bien où ça mène au bout de quelques chapitres, et "si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal". D'aucuns disent d'ailleurs que la pensée positive, en soi, fait du bien, peut même contribuer à faire advenir ce qu'elle propose, par suggestion, mimétisme, prophétie autoréalisatrice. Le battement d'ailes d'un papillon en Amazonie ne produit pas forcément un cyclone au Japon, mais peut-être, ici, une jolie brise à faire tourner un moulin ou à sécher notre linge…

« Rendre désirable la sobriété », dit Dominique Bourg.

CHERS PÊCHEURS
(Ne pas confondre : la pêche, fruit du pêcher ; le pécheur qui commet des péchés, action : pécher ; et la pêche, action de capturer du poisson par différents moyens, œuvre du pêcheur — c'est de ça que je parle ici.)
Le pétrole coûtant de plus en plus cher, donc (refrain), les marins pêcheurs vont ressortir les bateaux à voile* (ou les pédalos, comme nous, automobilistes, on ressort les vélos). Ce sera plus dur, ils auront besoin de plus de personnel (bonne nouvelle : baisse du chômage), ils iront pêcher moins loin, moins profond. (Re)devenus moins performants, ils pêcheront moins de poissons, n'épuiseront donc pas les ressources en poissons (on dit "halieutiques"), et pollueront moins la mer et l'air — bonne nouvelle, donc.
Par ailleurs, le pétrole (c'est-à-dire l'énergie en général) coûtant toujours de plus en plus cher, c'est aussi la chaîne de distribution qui va morfler (réfrigération, transport, lieux de vente). On consommera donc de préférence les poissons sur place, dans les villes et villages côtiers (comme dans les sociétés traditionnelles).
Pour en distribuer ailleurs, loin des côtes, on aura le choix : soit attendre la montée des eaux et que Paris devienne un port de mer, soit redécouvrir les méthodes de conservation traditionnelles : séchage, salage… Méthodes peu consommatrices en énergie, le soleil et le sel étant tous deux présents en bord de mer, et méthodes demandant du travail manuel humain, donc du personnel : économies d'énergie, baisse du chômage. Tant mieux, donc, et dommage (mais tant pis) pour les transporteurs. (Mais eux, j'en parlerai plus loin.)

(* La voile donne un coup de pouce aux marins pêcheurs.
http://www.univers-nature.com/inf/inf_actualite1.cgi?id=3192
11-06-2008 )



RECONVERSIONS
Que dire aux pêcheurs ?, sinon : reconvertissez-vous — dans l'aquaculture, de préférence. Il doit y avoir plein de subventions et aides diverses des Régions, de l'État ou de l'Europe pour se reconvertir tout en produisant toujours du poisson (+ crustacés et autres fruits de la mer), parce qu'on a faim. Évidemment, il va aussi falloir apprendre à nourrir les poissons d'élevage autrement qu'en les gavant de poissons de pêche – sinon à quoi bon ? (Actuellement, il faut trois kgs de poissons pêchés pour produire un kg de poisson d'élevage, ce qui est idiot. C'est un peu le même problème que les protéines de bovins nourris de protéines de maïs ou de soja…)
(Mais) un pêcheur interviewé à la TV : « Je suis marin pêcheur parce que mon père était marin pêcheur, mon grand-père…… » Et oui, "bad karma"……… Pour ce genre de grands changements sociaux (il s'agit de bien autre chose que "des réformes") il faut souvent quelque chose comme trois générations. Et on n'a pas trois générations devant nous — dix ans, peut-être, pas plus… (C'est pour cela, une fois encore, qu'il est difficile d'imaginer que tout cela se passe sans casse…… Mais continuons…)



Boulogne sur mer, c'est le petit monde de Don Cabillaud.

PAYSANS (UTOPINAMBOUR)
D'autres victimes les plus directes sont déjà (et vont être de plus en plus) les agriculteurs. Tant mieux. Ils vont ranger leurs tracteurs étranges, bruyants, pollueurs et lourds qui tassent la terre, leurs charrues qui l'ouvrent bien trop profondément et cassent tout son fonctionnement biologique à base de circulation d'air et d'eau, de bactéries, de lombrics et autres bestioles souterraines… Ils vont ressortir les chevaux, comme les vieux cow-boys, et engager du personnel = moins de pétrole, moins de pollution, moins de chômage. Par ailleurs, on leur dit qu'il faut réduire l'usage des engrais chimiques et pesticides. On a raison. On était nombreux à le leur dire depuis longtemps, d'ailleurs, mais maintenant, c'est le gregrenelle de l'envenvironnennement, et ça devient des promesses électorables, des projets, presque des ordres — ouais « si on peut », qu'ils disent à la FNSEA, « et seulement si on trouve de moyens de remplacement : de préférence des nouvelles molécules. » Bien sûr.
Mais en fait, vous n'aurez (bientôt) plus le choix, agriculteurs, adhérents ou non à la FNSEA, dans la mesure où engrais et pesticides sont éminemment dépendants de l'énergie pétrolière. (TOUT est dépendant de l'énergie pétrolière, oui, c'est un peu lassant à répéter mais je persiste !) Ces machins, donc, engrais et autres produits chimiques prétendus phytosanitaires, et qu'on doit plutôt nommer "biocides", sont en tout ou en partie issus de l'industrie pétrochimique et de toute façon dépendants de lui, le pétrole, one more time, pour leur transport, puisque vous ne les produisez pas vous-même dans votre ferme, ni quelqu'un dans le voisinage : il faut des grosses usines type sévéso-azf.
Alors vous, agriculteurs "modernes", vous ne savez pas comment faire pour vous en passer, il paraît… Vous n'avez jamais entendu parler d'agriculture biologique ? Vous ne savez pas que le crottin de vos chevaux, ça fait de l'engrais ? Et le purin d'ortie, vous croyez qu'il y a besoin de l'importer de Patagonie ?!
Mais je m'énerve, je m'énerve — bien inutilement, après tout, a priori je n'ai pas de membre de la FNSEA dans mes lecteurs, restons donc dans les conditions sereines de l'utopie littéraire. Bon, l'agriculture biologique, comme chacun sait, ça demande plus de travail manuel humain direct, donc plus de personnel et donc tant mieux pour l'emploi. Et si j'en crois les gens que j'aime bien croire, avec l'agriculture bio, on pourrait nourrir toute la planète. Et donc je ne crois pas ceux qui nous disent depuis longtemps que pour ça (nourrir toute la planète) il faut absolument l'agriculture industrielle un petit peu beaucoup OGMisée : une simple arnaque. (Grandiose, l'arnaque, mais arnaque quand même… Rappel pour ceux qui seraient encore tentés de croire que les OGM résoudront le problème de la faim dans le monde : http://www.lesechos.fr/journal20080414/lec1_idees/4714170.htm)

Quant aux champs de blé à faucher, si les tracteurs et moissonneuses-batteuses ne tournent plus, on appellera les faucheurs volontaires d'OGM, justement, y en a plein et on n'arrive pas à les garder en prison.
Quant à l'eau d'arrosage, énormes économies : exemple bien connu du maïs : 90% de la consommation d'eau dans l'ouest français est destinée à l'arrosage du maïs. Et pourquoi ?, c'est dégueulasse, le maïs ! Mais on en donne à bouffer aux bestiaux à viande ? Renonçons à la viande-bouffe, plus de maïs à arroser… Et aussi les multinationales agroalimentaires en foutent partout ? Plus de multinationales agroalimentaires (dans mon utropie), plus de maïs.

ÉLEVEURS
Bien sûr, avec les paysans, il y a les éleveurs. Si on ne mange plus de bœuf, si on ne consomme plus de produits laitiers, qu'est-ce qu'on va faire de toute cette viande sur pied, des corridas ?
(Je ne rappelle pas ici pourquoi il ne faut pas bouffer de viande ni de produits laitiers - ou en abuser - , ça va du mauvais rendement en protéines à la production de pets de méthane, en passant par la non-digestibilité (LO 158) et le cholestérol…)
Bon, on va réduire le cheptel, ne serait-ce qu'en arrêtant de mener les vaches au taureau, les chèvres au bouc, les brebis au bélier. On relâchera des troupeaux entiers dans la montagne, histoire de nourrir les ours pyrénéens, les loups transalpins, les vautours de minuit. On continuera sans doute à bouffer des œufs, du poulet, du lapin, du chevreau ou de l'agneau. Mais on n'est pas forcé de leur faire du mal.
Mais si on ne mange plus de viande, ou plus tellement, on va quand même avoir besoin de cuir, de laine (et même de fourrure — aïe !) D'avantage qu'au XXème siècle, même, petit écolo-paradoxe, parce qu'il va falloir remplacer un tas de choses qu'on faisait en plastique (le plastique c'est du pétrole). Les cuvettes en plastique rose, bien sûr, mais aussi tout ce qui est nylon, acrylique, tergal… Notre habillement… (Attention : éviter de traduire "dangerous habits" par habits dangereux.) … ceintures, chaussures, "robe de cuir comme un fuseau", pantalons pédés, blousons rock, bottes de chwal et sellerie. Et rappelons-nous que nombre de produits "de consommation courante" qui étaient, dans le temps, d'origine animale, ont été remplacés par des produits de synthèse de l'industrie pétrolière. Ainsi refera-t-on peut-être de l'encre de seiche, de la colle à bois à base de peau de lapin ou de poisson — et tant d'autres…
N'en déplaise à nos amis végans, on continuera à exploiter "nos amis les animaux" — bien forcés, et ce n'est pas plus mal. Mais on n'est pas forcé de découper le cuir sur pieds et de leur arracher la fourrure sur le dos, pas plus que de gaver les oies ou passer les abeilles au mixer. Et finalement, il faut se poser la question en ces termes : qu'est ce qui est le moins écologique, c'est-à-dire le plus dangereux pour la Terre et donc pour nous ? les bottes en peau de vache ou celles en plastique-pétrole ? un blouson en mouton retourné ou en mylar doublé teflon ? des bas de soie ou de nylon ? (La soie, oui, je n'ai pas évoqué la soie : mûriers, bombyx, magnaneries, filatures — renaissance des Cévennes !) Et de toute façon, un beau jour, on finira par avoir épuisé les stocks de "polaire" faite à base de bouteilles plastiques faites à base de pétrole, et il faudra bien se remettre à la laine et à la fourrure. (Sauf réchauffement climatique intensif et tout le monde à poil à brouter la savane.)

CANTONNIERS
Pour rester à la campagne, il en est de même pour le cantonnier municipal : ou bien on en a un seul avec quelques machines très chères et très pétrolières, dont celles – dégueulasses - qui déchiquettent les branches au bord des routes et chemins… Ou bien on a six cantonniers et cantonnières avec des pelles, des scies, des hachettes, des sécateurs (et un âne bâté)… Et on arrête de se plaindre du chômage…

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